Le Lien Scientifique Entre le But et la Santé Cérébrale
Charles Dickens, célèbre romancier britannique du 19e siècle, affirmait qu’avancer avec un pas ferme et un but était le meilleur moyen d’allonger nos jours. Bien qu’il ne vécût que jusqu’à 58 ans — dans une époque où l’espérance de vie était inférieure à 40 ans —, la science moderne valide son intuition. Au cours des deux dernières décennies, des études ont montré qu’un but dans la vie est associé à un risque réduit de maladies cardiaques, à une longévité accrue et, surtout, à une meilleure santé cérébrale.
Les chercheurs ont établi un lien entre le but et une diminution du risque de diverses formes de démence, y compris la démence vasculaire et la maladie d’Alzheimer. Angelina Sutin, docteure en psychologie cognitive à l’Université d’État de Floride, souligne que dans chaque étude et échantillon analysé, les personnes ressentant un plus grand sentiment de but présentent systématiquement un risque moindre de développer une démence. Cette corrélation est si forte que les scientifiques explorent désormais ses causes profondes.
Qu’est-ce que le But dans la Vie ?
Définir le but dans la vie n’est pas chose aisée. Pour le philosophe américain Ralph Waldo Emerson, cela signifiait vivre de manière utile, honorable et compatissante. Pour la Dre Sutin, il s’agit d’une sensation tournée vers l’avenir, un mouvement « vers un objectif plus vaste ». Emily Mroz, chercheuse en comportement social à l’Université Emory, ajoute que ce sentiment de but porte une intentionalité à long terme, dépassant les projets quotidiens ou annuels.
Il est important de noter que le but n’a pas besoin d’être grandiose. Bien que guérir le cancer soit un objectif noble, la Dre Sutin insiste sur le fait que quelque chose d’aussi simple que « jardiner pour créer un bel espace pour sa communauté » peut être tout aussi significatif. Les scientifiques distinguent le « sens » du but — le sens étant un concept plus large lié à l’importance et à la cohérence de la vie —, mais la Dre Sutin reconnaît que la plupart des gens ne font pas cette distinction, ce qui peut compliquer la recherche.
Des Preuves Étonnantes Issues de la Recherche
Les données sont frappantes. L’équipe de la Dre Sutin a analysé les informations de plus de 150 000 Britanniques et a constaté que ceux qui trouvaient leur vie pleine de sens bénéficiaient d’un risque de démence réduit de 35 %, un avantage comparable à celui de l’exercice physique régulier. Une méta-analyse de 2022 couvrant 32 pays a révélé que les personnes riches en sens et en but excellaient dans les tests de mémoire et de fluidité verbale (comme nommer autant d’animaux que possible en 60 secondes), des indicateurs clés du risque précoce de démence. Une autre étude suggère que le but pourrait retarder l’apparition de la maladie d’Alzheimer jusqu’à six ans.
En 2024, des chercheurs de l’Université du Wisconsin-Madison ont utilisé l’IRM par diffusion pour examiner le cerveau de plus de 100 adultes âgés de 48 à 95 ans. Ils ont découvert que ceux manquant de but présentaient des différences neuronales, notamment une perte de myéline dans l’hippocampe — une région essentielle pour l’apprentissage et la mémoire —, indiquant une santé cérébrale moins optimale à un niveau microscopique, souvent imperceptible pour la personne concernée.
Le Dilemme de la Causalité : Le But Protège-t-il le Cerveau, ou l’Inverse ?
Les études observationnelles laissent une question clé sans réponse : le but protège-t-il le cerveau de la démence, ou la démence réduit-elle le sentiment de but ? La Dre Mroz propose l’idée d’une boucle de rétroaction : un faible but pourrait aggraver la fonction cognitive, et une cognition déclinante pourrait rendre la quête de but plus difficile.
Cependant, la Dre Sutin apporte des preuves en faveur du rôle protecteur du but. Certaines études ont mesuré le but 10 à 20 ans avant l’apparition de la démence, et le lien protecteur persistait, suggérant que le déclin cognitif n’affecte pas le but aussi tôt. De plus, plusieurs mécanismes pourraient expliquer comment le but bénéficie au cerveau.
Comment le But Protège le Cerveau
Sur le plan comportemental, le but favorise des habitudes saines. Les personnes ayant des objectifs cherchent souvent à rester en forme pour les atteindre. Ajay Nair, neuroscientifique à l’Université du Wisconsin-Madison, explique que le but motive l’activité physique, une alimentation saine, l’engagement social, l’arrêt du tabac et les bilans médicaux réguliers — tous liés à un risque réduit de démence.
Plus directement, le but maintient le cerveau actif. La Dre Sutin souligne qu’un cerveau engagé est une défense clé contre la maladie d’Alzheimer et les troubles cognitifs. Dans une étude cette année, son équipe a équipé plus de 300 volontaires de smartphones qui évaluaient quotidiennement leur sentiment de but et leurs performances cognitives, révélant un traitement de l’information plus rapide lors des moments de grand but.
Le but atténue également le stress, un facteur de risque connu de démence. Les études montrent que les personnes ayant un but rapportent moins de stress malgré des défis similaires — comme des conflits au travail ou de la discrimination —, un phénomène observé chez divers groupes, des seniors brésiliens aux marins polonais en haute mer. Cette résilience accélère la récupération des émotions négatives et est liée à une diminution de l’inflammation chronique, un autre prédicteur de la démence.
Trouver Votre Propre But
Au-delà de la santé cérébrale, le but est associé à une réduction des risques d’AVC, de Parkinson, à un vieillissement plus lent et à moins de chutes chez les seniors. Pourtant, environ deux tiers des Américains d’âge moyen et plus âgés manquent de but. Alors, comment le trouver ?
Les experts recommandent des exercices de « crafting de vie » : réfléchir à vos valeurs, passions et futur idéal, puis les aligner avec votre vie grâce à un plan écrit — qu’il s’agisse de garder vos petits-enfants, de collecter des fonds pour une œuvre caritative ou d’améliorer votre communauté. La pleine conscience et la thérapie cognitivo-comportementale peuvent aussi aider. La Dre Sutin insiste sur le fait que le but est personnel : ce qui est significatif pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre.
Le moment idéal pour commencer est maintenant. Le sentiment de but tend à diminuer avec l’âge, chutant резко après un diagnostic de démence. Pourtant, même avec des changements cérébraux précoces liés à Alzheimer, cultiver un but peut atténuer les dommages. Le Rush University Medical Center a découvert que les patients ayant un but conservaient des esprits plus vifs malgré une pathologie cérébrale similaire.
Soutenir les Patients Atteints de Démence dans Leur Quête de But
Les recherches de la Dre Mroz montrent que les patients atteints de démence légère à modérée sont très motivés à chercher un but, souvent axé sur les autres plutôt que sur eux-mêmes. À la Clinique Intégrée de Soins de la Mémoire de l’Université Emory, des soins holistiques aident les patients à redéfinir leurs capacités. Elle plaide pour davantage d’initiatives similaires à travers le pays pour combattre les stigmates et soutenir la quête de sens.
Pour les adultes d’âge moyen ayant des antécédents familiaux de démence, le but est particulièrement crucial. Le Dr Nair conseille de commencer dans la quarantaine ou la cinquantaine pour augmenter les chances d’une vie plus saine à un âge avancé.